L’ouvrage de Rabelais se compose de cinq livres. Le premier a pour titre Gargantua, et les quatre autres Pantagruel. Le titre complet du premier est : Pantagruel. Les horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel Roi des Dipsodes, fils du Grand Géant Gargantua. Composés nouvellement par maitre Alcofribas Nasier. Il sera suivi du Tiers livre en 1546 (Le Tiers Livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel, composés par M. François Rabelais, docteur en médecine et Calloier des Iles d'Hyères), du Quart livre en 1552 (Le Quart Livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel. Composé par François Rabelais, Docteur en Médecine et Calloier des Iles d'Hyères) et du Cinquième livre, posthume.
Ce jeune homme, élevé tout autrement que ses contemporains, est un prince juste, bienfaisant, humain surtout. Il voyage, parcourt le monde et rencontre partout des abus, des iniquités, des superstitions grossières ou ridicules. Il trouve sur son chemin des juges de toute classe, les uns grotesques, comme Bridoye qui fait apporter les sacs contenant les dossiers, les soupèse, puis tire au sort des dés l’arrêt qu’il doit rendre ; les autres rapaces et sanguinaires, comme Grippeminaud, l’archiduc des chats fourrés et ses acolytes. Il se heurte aux Chicanoux, huissiers et sergents, qui vivent et s’engraissent aux dépens des malheureux plaideurs. Nous ne le suivrons pas dans l’Île sonnante, au pays des papimanes, où l’auteur attaque d’une manière hardie les cruautés de la cour de Rome.
L’un des personnages les plus connus de Rabelais est Panurge, type de tous ceux qui, pauvres, intelligents mais dissipateurs, luttent sans cesse pour se faire une position. Quand Pantagruel fit sa rencontre, il était en fort piteux état. Il arrivait du pays des Turcs, où ces mécréants l’avaient mis à la broche après l’avoir bien garni de lardons, car il était fort maigre. Pantagruel entreprend de le marier, chose peu facile ; ne faut-il pas consulter tous les sages, tous tes devins ? la question est si grave ! Après les avoir écoutés, Panurge ne sait s’il fera bien ou mal de se marier. En attendant, Pantagruel lui fait cadeau d’une châtellenie, mais en moins de quatorze jours le nouveau châtelain avait dilapidé le revenu de trois ans, « prenant argent d’avance, achetant cher, vendant à bon marché, et mangeant son blé en herbe ».
Dans une autre circonstance, le philosophe nous montre Panurge affichant une effronterie et une malice cyniques. Dans un voyage sur mer, la tempête éclate ; la peur de mourir lui arrache aussitôt des plaintes et des gémissements ; il veut à toute force qu’on le mette à terre, sur le plancher des vaches. Quand la tempête est apaisée, il reproche à l’équipage la poltronnerie que lui seul a montrée et cherche un mauvais tour à faire à quelqu’un. C’est sur Dindenaut, le marchand de moutons, que s’exerce sa malice. Il obtient à grand peine que celui-ci lui vende un mouton. Il le paye au poids de l’or puis, le prenant entre ses bras, le jette à la mer. Aussitôt, d’un bond, tout le troupeau se précipite à la suite du noyé et Dindenaut éperdu, se cramponnant au bélier, est emporté avec lui dans les flots. Panurge, du haut du pont, se rit de son malheur et lui débite un beau discours sur les misères de cette vie et les félicités de l’autre. Ce trait est passé en proverbe dans notre langue ; « sauter comme les moutons de Panurge », se dit des gens qui font une chose par esprit d’imitation.